Le bûcher des bovidés / The bonfire of the bovids
Black liner on paper + Photoshop edit and collage | September 2021
« Une start-up et un géant de l’agro-industrie envisagent de faire porter aux vaches des masques afin de récupérer les émissions de leurs rots, trop riches en méthane. Le pauvre animal est donc désormais prié de revêtir, au nom du développement durable, une tenue de cosmonaute qui achèvera de lui retirer tout caractère animal, déplore notre chroniqueur Benoît Duteurtre. » chapôtait Marianne en juin 2021.
La vache qui fut l’Animal, est-elle encore un animal ? Ou bien a-t-elle finalement fusionné avec l’usine qui la cintre ? L’Animal, l’animal A. De la bête alpha de l’alphabet, idole des zoolâtres, destinataire des libations de Darjeeling, et de colliers de fleurs, à l’Oméga 3 saturant ses victuailles. De son buste, ses joues et son collier, protéinés, a germé la ligne de l’aleph des écrivains originels. Peine capitale infligée à Io, prêtresse, la dégringolade de la Gao Mata nourricière, dont le suc répandu a modelé notre voie lactée, aux gémonies « peau de vache ».

Au procès de la vache, qui se réclamera de plaidoyer en faveur de l’animaloïde, traînant dans son sillon de lourds motifs d’inculpation ? Cholestérol, obésité, rejets de méthane, besoins en eau pharamineux, hôte de la vache folle, lait mal digéré, le slogan des amis du lait n’étant plus parole d’Évangile, et pire ; quand des doutes subsistent sur sa provenance. Est-elle d’origine européenne, descendante de la princesse phénicienne kidnappée par le taureau divin ? A-t-elle été abattue en France, en Pologne, transformée et hachée en Roumanie, et coupée à la viande de cheval ? Sur le banc des témoins se succèdent industriels de l’agribusiness, militants écologistes, pourfendeurs du veganisme, et autres animalistes, qui, plastronnant la défense de son bien-être, questionnent le bien-fondé de son existence. Quelles questions existentielles une vache qui ne serait pas d’élevage peut-elle bien se poser ? Qu’est-ce qu’une vache à l’état sauvage, dans l’anomie d’un monde sans viande ni cuir ? Vache, tout à la fois victime et coupable de l’élevage intensif. 
« Ni les uns ni les autres ne semblent plus vouloir comprendre comment l’humain et le paysan d’autrefois pouvaient aimer les animaux, les soigner, les nourrir, les admirer... et aussi les tuer pour les manger ! » Benoît Duteurtre · Marianne 27 juin 2021.

Quant à moi, suis-je vraiment sûre que la vache existe encore ? Moi qui ne la vois qu’au travers la brume lointaine, derrière la cage de verre hygiénique de la vitre d’un train en marche ? Les nomades citadines que nous sommes ont externalisé leur relation au fermier bestiaux, objet sous blister étiqueté d’un flamboyant « promotion ! »

« Ainsi va notre société qui, d’un côté, admire sur ses écrans les espèces sauvages et entend les protéger ; qui, de l’autre, bichonne ses petits animaux de compagnie... mais qui traite avec un extraordinaire mépris les espèces vouées à notre alimentation : bovins, porcs ou volailles entassés dans leurs sinistres élevages en batterie. » Benoît Duteurtre · Marianne 27 juin 2021.

La conception de l’animal-machine n’est pas nouvelle : déjà Buffon et Descartes lui confisquait sensibilité. A défaut d’être rationnelle, nous avons rationalisé l’élevage de la brave ruminante ; jamais elle ne s’en plaint. 


Ce dessin en procès-verbal retrace cette histoire de la vache ; ou plutôt, en guise d’emblème, notre histoire, et celle de notre rapport à la nature. Cette histoire en 2D et au sens de lecture laissé libre, linéaire ou tortueux, n’est ni procureur, ni avocat, ni juge d’instruction. Observons ce procès, bûcher des bovidés, en suspendant tout jugement, qu’il soit pro ou contra. Comme la robe de Marguerite, mouchetée de blanc et de noir, la réalité ne saurait être binairement élucidée. Quant à sa structure, les différentes réflexions visuelles suivent les éléments architecturaux d’un plan d’abattoir, tracé sur les lignes de la Constellation du Taureau.

Dessin inspiré par la lecture de l'article de Benoît Duteurtre, "Vache masquée : "Pauvre animal, qui se voit désigné comme coupable du réchauffement climatique"", publié le 27 juin 2021, Marianne (à lire ici)
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